Journaux arabes : la difficile transition numérique

Journaux arabes : la difficile transition numérique

Les deux jours d'atelier 4M, qui prenaient place dans la capitale jordanienne, ont fait ressortir les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les rédactions des journaux arabes. Quelles sont les méthodes qui fonctionnent ?

« C'est à cause des journalistes que c'est si difficile de passer au numérique. »
Cette phrase, presque tous les participants du séminaire l'ont prononcée. La transition sur le web est difficile à avaler pour les journalistes : pour eux, le papier, c'est sacré. Ils refusent d'écrire exclusivement pour le web, qu'ils jugent moins sérieux et moins noble que le papier. Philippe Laloux, rédacteur en chef adjoint du quotidien belge Le Soir, pense avoir la solution : les journalistes doivent arrêter de penser à la forme de leurs papiers. Il préconise même de séparer le travail, avec des journalistes reporters et des journalistes éditeurs. Les reporters seraient seulement chargés d'écrire des papiers les plus complets possible et les éditeurs auraient la mission de publier le tout, en mettant en forme et en sélectionnant les informations en fonction du support. Ainsi, la forme oubliée, les rédacteurs seraient moins rebutés par le web. Il faut vendre un service d'information, plutôt que des informations.

Le web fonctionnant en continu, les journaux sont forcés d'adapter leurs contenus. Le papier devient un espace d'analyse plutôt qu'un espace d'informations. C'est aussi l'un des challenges des médias arabes : la langue écrite est différente de la langue parlée, et le langage web se rapproche de celui que l'on parle. C'est donc difficile pour les journalistes de renoncer à l'arabe écrit, pour s'adapter au web.

Le mobile : l'avenir ?

Toutes les rédactions n'ont qu'un mot à la bouche : le mobile. Le mobile pour communiquer au sein de la rédaction, le mobile pour diffuser l'information, le mobile pour obtenir des informations… Les médias du monde arabe misent tout sur ce gadget devenu indispensable.

« Il faut faire des sites internet mobile-responsive. »
C'est le leitmotiv des rédactions. Pour certaines d'entre elles, les consultations mobiles représentent 70% des consultations totales. Créer du contenu adapté est donc devenu primordial. Et pas seulement pour le contenant. Les utilisateurs mobiles passent rarement plus de dix secondes sur les sites internet, il faut donc pouvoir donner l'information en un minimum de temps et également donner envie de rester sur le site.

Les rédactions s'emploient donc à former leurs journalistes pour la création de contenu multimédias (vidéos, sons, images…).

Pour attirer le lecteur vers les sites, de nombreuses rédactions ont choisi de faire appel à des community managers : ils sont chargés de partager les vidéos, articles et autres contenus sur les réseaux sociaux. Pour donner envie, ils ont recours à des techniques marketing et changent souvent les titres des articles. La méthode qui fonctionne paraît être celle de la question, qui donne envie au lecteur d'en savoir plus. Et dans les journaux sérieux, on fait attention à ne pas utiliser de titres mensongers.

Le mobile est en tout cas probablement le meilleur moyen pour les rédactions de parvenir à rentrer dans leurs frais et continuer à générer des biens.

Sameh Abdallah, rédacteur en chef du journal égyptien Al Ahram
et Philippe Laloux, rédacteur en chef adjoint du quotidien belge Le Soir

L'organisation pratique : un réel défi

Une bonne partie des journaux présents lors du forum avaient une rédaction web séparée physiquement de la partie papier. Par choix ou souvent par manque de place, de moyens, ce type d'organisation nuit généralement au bon fonctionnement du journal : la séparation accentue le problème de hiérarchie entre le web et le papier.

Pour les autres, la réorganisation a pris du temps. Certaines rédactions ont deux rédacteurs en chef, un pour le papier et l'autre pour le site internet. Cette solution a l'avantage d'empêcher les journalistes de travailler deux fois : une fois pour le journal imprimé, l'autre pour le site web.

Pour les rédactions, il est difficile de créer un lien entre les deux pôles : n'ayant jamais travaillé ensemble, les acteurs ont du mal à faire équipe. Pourtant, au Soir, la réunion semble fonctionner. Tout le monde se trouve dans le même open space, de manière à pouvoir communiquer.
Car Philippe Laloux le rappelle, si on veut que la transition fonctionne, le maître mot est communication. Mais, même Le Soir, qui semble pourtant avoir trouvé la méthode, s'inquiète encore de la manière de sauver le papier, tout en assurant financièrement sa présence sur le web.


Crédit photo et textes : Léa Caboche et Constance Boileau

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