La violence contre les médias reflet de l’intolérance envers les différences

La violence contre les médias reflet de l’intolérance envers les différences

Eko Maryadi, Président de l'Association des journalistes d'Asie du Sud-Est, a travaillé en étroite collaboration avec CFI notamment lors de l'organisation du forum 4M de Jakarta en 2014.

Réagissant au récent attentat contre Charlie Hebdo en France, il signe dans The Jakarta Post un état des lieux sur la liberté de la presse dans les pays d'Asie du Sud-Est.

L'attaque armée contre le siège parisien de l'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo qui a fait 12 morts, dont deux policiers, revêt une double portée : une attaque contre l'humanité, les tueurs ayant attaqué les occupants non armés des locaux d'un journal, mais aussi une atteinte aux principes de la république française que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.

Depuis plusieurs siècles déjà, le peuple français fait de ces principes de « liberté, égalité, fraternité » les fondements de sa démocratie, lesquels ont d'ailleurs imprégné la civilisation européenne.
En Europe, la France figure au rang des nations favorables aux immigrants. Elle accueille à bras ouverts les étrangers, y compris ceux issus des pays comptant des citoyens musulmans, tels que l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Tchad, le Soudan et le Nigeria. Le gouvernement français ouvre les portes de la nation aux immigrants provenant des régions en proie à des troubles, telles que le Moyen-Orient et l'Europe de l'Est. À la fin des années 1970, la France a même offert refuge à l'Ayatollah Khomeini, le guide suprême de la révolution islamique iranienne alors poursuivi par le régime du Shah d'Iran.

Cette France plurielle, riche en différences et diversité, tient au cœur des citoyens. D'un point de vue culturel, la France est renommée pour sa conception libérale, tolérante, égalitaire et expressive de la vie. S'il est vrai que certains citoyens sont racistes et ont une attitude discriminatoire, le peuple français, dans l'ensemble, réserve un bon traitement aux immigrants.

Il est tout à fait naturel d'attendre des immigrants, lesquels sont les derniers arrivés (indépendamment de leur pays d'origine, religion ou groupe ethnique), qu'ils adoptent le principe reflété dans le proverbe indonésien "c'est où nous nous tenons que nous soutenons le ciel", ou dans l'expression "à Rome, fais comme les Romains".

Tel est d'ailleurs le cas en Indonésie où toute personne, quels que soient son groupe ethnique et sa confession religieuse, est tenue de reconnaître le Pancasila comme fondement des diverses identités et croyances présentes dans le pays.
Les immigrants doivent accepter que la République française est manifestement un pays laïque et non pas une théocratie. Ce faisant, se moquer des religions, prêtres, rabbins, prophètes ou dirigeants n'y est pas un blasphème.
Dans une théocratie, la tradition du respect des enseignements religieux équivaut au « culte » des prophètes, des livres saints, des pasteurs, des prêtres et des autres chefs religieux. On y oublie que les pasteurs, prêtres et rabbins sont de simples êtres humains.
Fondé en 1969, l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo s'en est pris à tous les types de figures, autorités et chefs religieux, à toutes les communautés, ainsi qu'au gouvernement et aux citoyens français. L'attaque soudaine du 7 janvier, que les extrémistes considéreraient comme un acte « héroïque », était si outrancière et incompatible avec les principes du peuple français et de l'humanité que des chefs de file venus des quatre coins du monde se sont joints à la manifestation organisée le dimanche suivant dans la capitale. Si des actes d'un tel barbarisme peuvent ne pas surprendre s'ils surviennent dans une zone en conflit telle que la Somalie, l'Irak, le Pakistan ou l'Afghanistan, cela n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de la France.

Dans la région diverse qu'est l'Asie du Sud-Est, y compris en Indonésie, il est tout aussi inacceptable que quiconque ou quelque groupe que ce soit ait recours à la violence et tue des personnes ne partageant pas la même identité ou la même foi en invoquant quelque motif que ce soit.
Pourtant, dans les démocraties de la région, tant les majorités que les minorités ont encore du chemin à faire avant de vivre en paix et de leur plein gré les unes aux côtés des autres, dans le plein respect de leur diversité. Or, la marque d'un peuple civilisé et raisonnable réside dans son attitude envers les différences.

La diversité qui existe au sein même de la population musulmane est éclatante dans les pays à majorité musulmane que sont l'Indonésie, la Malaisie et le Brunei. Les partisans de la ligne dure en Indonésie sont connus pour intimider aussi bien les adeptes d'autres religions que les musulmans modérés.

Ailleurs, les entraves à la liberté d'expression et à la liberté de la presse continuent d'émaner des autorités.
Au Brunei, une monarchie religieuse, il est interdit aux médias comme aux membres de la société de critiquer le monarque ou la pratique islamique.
En Thaïlande, en mai 2014, une junte militaire a pris le pouvoir, instauré la loi martiale et imposé des restrictions sur les communiqués médiatiques, et en particulier audiovisuels.
En Birmanie, des signes des revers essuyés par la liberté de la presse et la sécurité de la presse commencent à émerger. Il est d'ailleurs fort probable que toute critique du gouvernement suscite des menaces.
La situation devient plus difficile au Vietnam et au Laos, deux pays dans lesquels le gouvernement est sur le point d'imposer un durcissement de la réglementation relative à internet. La situation est analogue à celle de Singapour où des exigences strictes en matière d'enregistrement internet sont imposées aux particuliers et médias indépendants, lesquels sont couramment attaqués en diffamation par les hauts responsables.

Quant aux Philippines et à l'Indonésie, les deux pays de la région supposés respecter le plus la liberté de la presse, les problèmes de sécurité au travail et de protection juridique des journalistes ne sont toujours pas résolus. En effet, les journalistes continuent de réclamer que les responsables du massacre de membres des médias à Ampatuan en 2009 soient traduits en justice.

Dans le même temps, en Indonésie, les journalistes et sièges de médias, surtout dans les régions, continuent de faire l'objet de menaces et d'attaques. La plupart des auteurs de ces actes sont des particuliers ou des groupes mécontents des informations relayées par les médias.

Nous ne sommes pas des partisans de la liberté sans limite, mais en tant que membres d'une société qui a foi en la démocratie et en la liberté de la presse, nous devons unir nos forces pour protéger ensemble les médias contre la menace terroriste et les campagnes d'intimidation menées par des groupes violents qui abusent souvent de la religion et du nom de Dieu pour justifier le meurtre.

Eko Maryadi, Président de l'Association des journalistes d'Asie du Sud-Est (SEAPA) à Bangkok.

Nos dernières actualités

CFI célèbre son 35e anniversaire !

CFI célèbre son 35e anniversaire !

Le 17 avril 1989, CFI était officiellement lancée en tant que banque de programmes internationale. Depuis, son rôle a plusieurs fois évolué et...