Moi, journaliste libyenne : Houda Al Chaikhi

Moi, journaliste libyenne : Houda Al Chaikhi

Le témoignage de Houda Al Chaikhi, journaliste à la chaîne Libya Alhadath à Benghazi (Libye).

Je m'appelle Houda Al Chaikhi.

La Libye, qui entame sa sixième année d'instabilité. La Libye, qui a vu les conflits politiques se répercuter en divisions territoriales. Voilà un État à trois gouvernements, avec des milices, une armée et le cauchemar de l'État islamique, Daesh, qui tente d'exploiter ce chaos pour s'y implanter et exporter le terrorisme dans le monde entier. Est, ouest, sud… une triade régionale unie par la crise qu'endurent aujourd'hui les citoyens, quelles que soient leurs idéologies ou leurs appartenances. Une guerre féroce qui a pour principale arme les médias locaux, tant au niveau national qu'au niveau international…

Face aux enlèvements, à l'intimidation, aux attentats, au non-respect de la loi et aux idéologies rivales, le journaliste travaille-t-il avec professionnalisme ? Traite-t-il les évènements avec objectivité ? La crise a-t-elle imposé de nouvelles normes à la profession ?

Asmaa Al Hawaz (Benghazi), dix ans d'expérience, pense que "ce qui distingue le journaliste des autres citoyens est sa capacité à transmettre ses idées à travers un message médiatique en ayant recours à des plateformes différentes, l'engageant ainsi à être objectif, sérieux et impartial.
En effet, la diffamation, la mutilation et la falsification des faits lui portent préjudice, ainsi qu'à son public et à l'institution. Ces pratiques ne peuvent conduire qu'à la perte de confiance. Il ne faut donc jamais utiliser la profession comme arme pour atteindre un objectif particulier, à l'instar de ce que nous vivons aujourd'hui : les normes se limitent juste à la langue et à la rédaction
".

Alors que Saïf Al Islam Abhih (Bin Jawad), sept ans d'expérience, a décidé de laisser tomber le journalisme lié directement à la politique et de s'intéresser plutôt à des questions sociales.
"La presse en Libye, avec les évènements que nous vivons, n'adopte plus l'éthique de la profession comme norme pour l'analyse et le traitement d'un sujet. Cela est évidemment dû à la fragilité de l'application des lois, qui protègent le journaliste et l'institution pour laquelle il travaille de toutes poursuites. Pour cela, tout le monde travaille en évitant tout affrontement".

Quant à Mohamad Nour El Dine (Sabha), six ans d'expérience, il considère que "nous vivons aujourd'hui dans une profession en crise. Pour cela, il faut traiter les évènements qui s'enchaînent rapidement et dans des circonstances différentes avec sagesse et réflexion. La presse suit aujourd'hui un agenda spécifique fixé par l'employeur et les stratégies de l'institution. Or, la patrie devrait être le seul agenda à suivre, et non le courant idéologique, ni le gouvernement et les dirigeants".

Mohamad Abdallah (Awjila), six ans d'expérience, estime : "Il est vraiment difficile pour le journaliste de trouver le juste milieu dans sa façon de traiter les informations, à cause de la peur, des caractéristiques de la région et de son environnement, notamment face à la dégradation de la situation sécuritaire et aux clivages politiques et militaires qu'endure le pays."

Abed El Naser Khaled (Tripoli), dix-huit ans d'expérience, décrit enfin les médias actuels comme systématisés et régis par les exigences du conflit : "L'éthique de la profession constitue des principes et des pratiques qui ne changent pas, quels que soient les défis auxquels fait face une institution médiatique en général. Le journalisme doit prendre en compte l'intérêt public sans porter préjudice à la vérité. En d'autres termes, il s'agit de trouver un équilibre entre l'intérêt public et la vérité, tout en respectant les traditions, les coutumes et le patrimoine et en refusant tout ce qui peut susciter violence, haine et anarchie."
Finalement…

Tous les collègues que j'ai cités, quelles que soient leurs années d'expérience ou leurs villes, se sont mis d'accord sur le fait que nous ne vivons pas aujourd'hui une crise de la profession, mais, bien au contraire, nous vivons une profession de crise. Celle-ci a imposé des contraintes au journalisme, l'utilisant comme arme fatale contre la société. Elle réussit donc à détourner ses convictions dans le but d'assurer le contrôle d'un parti au détriment de l'autre, tout en adoptant le discours de la peur, de la faim, de la soif et de tous ces besoins les plus simples qu'un État devrait assurer à ses citoyens…

Les exemples cités sont nombreux, mais tous disent la même chose : on vous oblige à travailler dans le but uniquement de vous nourrir, sinon vous restez chez vous. Tout autre choix aurait pour conséquence une mort d'une balle inconnue… Pas de professionnalisme ; les forces qui sont au coeur du conflit aujourd'hui refusent d'accepter l'autre ou de coexister avec lui, alors que le pays nous reçoit les bras grands ouverts.


Afin de préserver le dialogue démocratique en Libye, CFI a lancé, en partenariat avec le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le projet Hiwar début 2017. Ce projet offre un espace d'expression de différents points de vue sur la presse libyenne. Une session, composée de quatre ateliers, a été organisée en Tunisie. Douze journalistes libyens, venant de Libye, de Jordanie, de Turquie, d'Égypte et de Tunisie, y ont participé.

Ce témoignage fait partie du livret Moi, journaliste libyen, qui regroupe des textes libres préparés par les journalistes du projet Hiwar.

Retrouvez l'intégralité de ces textes dans le kiosque.

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