L’Afrique est-elle prête à amorcer le journalisme de solutions ?

L’Afrique est-elle prête à amorcer le journalisme de solutions ?

Anderson Diédri, rédacteur en chef du média ivoirien eburnietoday.com et participant au projet Naila se penche sur la question du journalisme de solutions et sur l'impact que pourrait avoir celui-ci dans le processus de développement des pays africains.

Partager des histoires d'innovation et de réussite, mettre en lumière des initiatives à fort impact social et environnemental. Le journalisme de solutions ou d'impact suscite un vif intérêt depuis quelques années. En Afrique – comme en Côte d'Ivoire -, cette opération médiatique pourrait jouer un rôle décisif pour relever le défi du développement.

Sans domicile fixe (SDF) et abandonné à son sort, Jean-Claude est esseulé. Mais en 2016, des journalistes français le repèrent et relaient son histoire à travers un article. Ce qui contribue à donner une forte visibilité à sa situation précaire. Une communauté se mobilise aussitôt pour lui venir en aide. Ensuite, 5 000 euros (plus de trois millions de francs CFA) sont levés en deux jours pour lui trouver un logement temporaire le temps au moins, que l'hiver passe.

« On a pu prouver qu'en se mobilisant, on peut arriver à changer les choses. Et je pense que c'est aussi le rôle d'un média, non pas de sauver les gens, mais de pousser les gens à l'action ». Benoit Raphaël, expert en innovation média.

Alternative au journalisme traditionnel

Cette opération médiatique, qui tend à présenter l'actualité sous un angle positif et à susciter l'espoir, est appelée journalisme de solutions ou d'impact. Ce journalisme consiste à mettre en œuvre une approche journalistique qui apporte des solutions à des problèmes de société. En clair, c'est une forme de journalisme explicatif susceptible d'accomplir un rôle de vigie, en mettant en exergue des réponses effectives afin de stimuler des réformes ou des changements. Ce qui proscrit indéniablement la superficialité et fait appel à une démarche d'information critique marquée par l'investigation.

C'est une alternative au journalisme traditionnel qui est trop souvent focalisé sur les polémiques. Il ne s'agit en effet plus uniquement de rester dans la simple dénonciation ou d'évoquer certains sujets – sans-abris, prostitution, réfugiés, etc. – avec stigmatisation mais d'arriver surtout à susciter l'intérêt du public. Et tous les mois, un sujet différent était abordé par ces journalistes. L'objectif, précise Benoit Raphaël, est de faire participer les lecteurs et l'audience au changement d'une situation : « S'il n'y a qu'un (sans-abri) sur mille qui peut être sauvé et qu'on reste les bras croisés, au final on n'en aide aucun. Donc c'était vraiment cette pédagogie-là qu'on voulait instiller ».

« On n'est pas dans la course au buzz »

Cette démarche journalistique assez récente, utilisée par des rédactions depuis quelques années, nécessite toute de même une méthodologie particulière.

« Dans un premier temps, cela signifie qu'on n'est pas dans la course au buzz (…) Ensuite qu'on ne cherche pas à créer de la polémique à tout prix. On veut plutôt poser un regard bienveillant sur les choses, sur les individus. On cherche aussi à trouver des sujets plus originaux », précise Sabine Torres, directrice générale du groupe Médias du sud, basé dans le sud de la France.

Ce groupe, composé de quatre chaînes de télévisions locales : une web-TV régionale, un journal papier et une plateforme d'hébergement et de monétisation de vidéos, a adopté comme ligne éditoriale le journalisme de solutions. Même s'il couvre l'actualité surtout pour six millions d'habitants au niveau régional, Média du sud a choisi de « décaler » tous ses angles de traitement de l'information pour accentuer toutes les initiatives qui font « progresser » la société et qui créent du lien entre individus.

Le rédacteur n'est plus un observateur mais un acteur qui prend une part active dans la construction d'un territoire en proposant des solutions concrètes aux problèmes qui se posent. Mais n'y a-t-il pas un risque de biaiser l'information ou de ne pas la livrer totalement en privilégiant le journalisme de solutions dont on peut questionner l'objectivité ? Sabine Torres pense que non.

Elle soutient qu'il faut évoquer l'actualité, les problèmes. Mais l'approche reste toutefois déterminante avec le journalisme de solutions : « Si par exemple il y a une inondation, au lieu d'accentuer sur le tragique, les morts, etc. – même si on est obligé de les mentionner- on va accentuer notre angle de traitement sur la solidarité entre les citoyens. S'il y a un attentat, on va plus parler de la mise en place des secours, mais aussi la manière dont les communautés se mobilisent que du terrorisme et de l'anti-islamisme, détaille-t-elle. « On essaie en tout cas de faire le mieux possible notre travail en étant honnête ».

Bernard Chenuaud, Directeur adjoint Afrique à CFI, l'agence française de coopération médias, pense que cette nouvelle approche peut renouveler les pratiques dans le journalisme : « L'enseignement dans les écoles de journalisme consiste à soutenir qu'un train qui arrive à l'heuren'est pas une information, seul celui qui arrive en retard en est une ».
Il temporise cependant : « Ça ne veut pas dire pour autant que nous devons parler que de choses positives, parce que c'est souvent ce que souhaitent les pouvoirs ».

Renouer la confiance avec les citoyens

La Côte d'Ivoire, pays qui a connu des crises cycliques (1999, 2002 et 2011), reste profondément divisée par les clivages politiques. La presse, qui a longtemps accompagné cette adversité binaire, a vu ses chiffres de vente dégringoler à un rythme vertigineux entre le premier trimestre 2005 et le troisième trimestre 2015. On observe une baisse de la diffusion de la presse quotidienne ivoirienne de près de 63% en dix ans. La presse proche des différentes obédiences est celle qui enregistre les plus fortes chutes.

Une fatalité ? En tout cas, une étude réalisée en 2014 par des chercheurs de l'université du Texas aux États-Unis montre qu'un journalisme orienté vers une solution est jugé plus crédible par les lecteurs. Ces derniers ont le sentiment d'être mieux informés. Résultat : leur relation avec les médias se trouve renforcée. Il permet de renouer la confiance face à la désaffection des citoyens.

Ce renouveau éditorial est susceptible de répondre à la fois aux besoins du lectorat et des organes de presse. Le journalisme de solutions apparait donc comme un modèle éditorial et économique pertinent pour la presse traditionnelle en crise mais aussi pour les médias en ligne en quête d'un modèle économique viable.

En France, l'un des exemples de réussite du journalisme de solutions est Nice Matin, journal local lancé en 2015. Benoit Raphaël, qui a accompagné ce projet, relate : « On a multiplié par deux puis par trois le nombre d'abonnés en deux ans. On avait des taux de clics sur les articles qui étaient multipliés par deux, un nombre de vidéos vues qui était multiplié par 10 ». « Ces articles permettent aux gens de mieux connaître le site et quand le site est connu, on peut facilement négocier des publicités », ajoute Hélène Doubidji, Directrice de publication du site d'information togolais Togotopnews.

Dans le contexte africain, le journalisme de solutions a toute sa pertinence. D'autant plus que les guerres civiles, la famine, la pauvreté, en somme les catastrophes, sont les évènements les plus véhiculés dans les médias à travers le monde. « Lorsqu'on regarde les médias transnationaux, on a l'impression que tout va mal en Afrique », fait remarquer Dr Sokhan Fatou Seck Sarr, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication à l'université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal. Pour elle, le continent est généralement représenté « de façon très négative, avec des stéréotypes et des clichés » alors qu'il y a de « belles choses qui s'y passent ». Cette nouvelle approche journalistique pourrait s'investir dans la promotion de la bonne gouvernance et l'enracinement de la démocratie.

« Le journalisme de solutions, s'il est approprié par les journalistes africains, pourrait faire véhiculer un autre discours et peut-être montrer un autre regard sur l'Afrique, une autre image de l'Afrique ». Dr. Seck Sarr, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication.

Une opportunité pour le continent africain

Si le concept est nouveau sur le continent, il est tout de même exploré. Hélène Doubidji a réalisé un grand dossier sur les conditions de détention des femmes de la prison civile de Lomé, le plus grand centre de détention du Togo. La journaliste togolaise a interrogé « des experts, des acteurs en matière de droits de l'homme qui ont su faire des propositions pour pouvoir améliorer les conditions de détention ».
Résultat : juste après son article, la ministre togolaise de l'Action sociale a effectué une visite dans cette prison et « elle a fait des promesses, mais il reste la concrétisation ».

Le concept suscite un vif intérêt aujourd'hui. Depuis 2012, l'Impact Journalism Day réunit 55 médias à travers le monde pour partager du contenu de solutions lors d'une journée chaque année au mois de juin. Objectif : partager des histoires d'innovation et de réussite, mettre en lumière des initiatives à fort impact social et environnemental. Cette opération médiatique pourrait se mettre en place de manière structurelle sur le continent africain afin de faire découvrir les acteurs qui ont réussi à apporter des réponses dans de nombreux domaines tels que la santé, l'eau, l'éducation...

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