4M Caucase : interview de Liana Sayadyan, adjointe du rédacteur en chef du site arménien Hetq

4M Caucase : interview de Liana Sayadyan, adjointe du rédacteur en chef du site arménien Hetq

Après le Forum 4M organisé en novembre 2013 à Tbilissi, en Géorgie, CFI a lancé le projet #4M Caucase pour soutenir la production et la diffusion d'une information de qualité auprès de trois médias d'information en ligne dans les pays d'Arménie et de Géorgie.

Cyrille Frank Cyrille Frank, journaliste et consultant pour CFI s'est rendu du 22 au 26 septembre 2014 à Erevan (Arménie), pour la 2ème session de formation dédiée à l'utilisation des réseaux sociaux auprès des journalistes du magazine d'information et d'investigation Heqt.
Afin de mieux comprendre le paysage médiatique et les conditions dans lesquelles travaillent les journalistes en Arménie, Liana Sayadyan, adjointe du rédacteur en chef de Hetq répond à ses questions.

Cyrille Frank : Quel est le contexte de la presse en ligne en Arménie et plus particulièrement celui de la presse d'investigation ? Quels sont les différents médias faisant de l'investigation ? La presse qui mène le genre de l'enquête connaît-elle du succès ?

Liana SayadyanLiana Sayadyan : Les premiers médias d'information en ligne ont fait leur apparition en Arménie au début des années 2000. Parmi ceux-ci, Hetq.am était tout particulièrement consacré au journalisme d'investigation. À ce jour, Hetq demeure le seul média arménien à effectuer des reportages d'investigation. Dans le cas des journaux, la raison est financière et imputable à un manque de ressources humaines adéquates. La diffusion des journaux en Arménie reste très faible. Les principaux journaux se vendent à 3 ou 4000 exemplaires par jour et le tirage le plus important ne dépasse pas les 7000 ou 8000 exemplaires. Les chaînes de télévision s'abstiennent de faire du journalisme d'investigation car elles sont toutes financièrement dépendantes de grandes sources de capital et doivent rendre des comptes aux oligarques et aux partis politiques du pays. Les principales sociétés de télévision du pays appartiennent aux proches du président. Dans la mesure où le monde des affaires et le monde politique sont étroitement liés en Arménie, tout reportage d'investigation risquerait d'aller à l'encontre des intérêts des propriétaires des chaînes télévisées ou de leur entourage immédiat. Dans la foulée des élections de 2008, Robert Kocharian, le président de l'époque, a imposé toute une série de restrictions aux médias, y compris une « autocensure ». La diffusion d'informations sur internet permettait de contourner ces restrictions. Le nombre de sites indépendants était néanmoins insignifiant.

Il y a de cela quelques années, on ne pouvait guère parler de l'efficacité de la presse d'investigation. Malgré les révélations des médias sur les violations flagrantes et les abus de pouvoir, les coupables étaient rarement tenus responsables. Il nous fallait écrire directement aux hauts fonctionnaires, pour leur rappeler les révélations que nous avions faites et exiger la conduite d'enquêtes criminelles et d'investigations de la part de l'État. La situation s'est cependant légèrement améliorée ces dernières années. Hetq a publié plusieurs révélations flagrantes en 2014 et certaines affaires font aujourd'hui l'objet d'enquêtes, même s'il est difficile de prédire si l'application du droit permettra de faire toute la vérité.

C.F.: L'activité des médias faisant de l'investigation en Arménie peut-elle s'autofinancer ? Quels sont les problèmes relatifs aux abonnements, à la publicité et aux subventions ?

L.S. : L'autofinancement des médias constitue un réel problème en Arménie. Comme je l'ai dit plus haut, étant donné les liens étroits entre le monde des affaires et le monde politique en Arménie, les médias dépendent totalement des capitaux politiques. La publicité commerciale est également un secteur surveillé par les autorités. En raison du contenu publié par Hetq, il nous est difficile d'attirer des annonceurs. La majeure partie de nos revenus provient de bourses, de coopérations dans le cadre d'investigations internationales et de mécènes privés. Il est hors de question de faire payer l'accès aux médias, dans la mesure où l'information a toujours été gratuite sur internet et que cela va de soi pour les lecteurs arméniens. Les médias qui adopteraient un système payant risqueraient de perdre leurs lecteurs. Si le marché publicitaire se développait en Arménie, sans être contrôlé par les forces politiques, nous assisterions à l'émergence d'un plus grand nombre de médias indépendants. L'autre problème vient de la centralisation des médias aux mains de quelques propriétaires. C'est particulièrement le cas des médias radiodiffusés. Le plagiat est assez répandu dans le secteur de l'information en ligne. Ajoutez à cela les violations des droits d'auteur et un niveau de professionnalisme médiocre et vous obtenez un tableau général des défis auxquels les médias sont aujourd'hui confrontés en Arménie.

C.F. : Existe-t-il une censure imposée par les responsables qui porterait atteinte à l'indépendance éditoriale ? La corruption est-elle présente dans la presse en Arménie ?

L.S. : Dans la mesure où la plupart des médias ont des sponsors ou des mécènes politiques, il n'y a pas vraiment besoin de censure pure et dure. Les rédacteurs en chef savent pertinemment ce qu'ils peuvent rapporter et de quelle manière. C'est plutôt l'autocensure qui joue un rôle déterminant dans les médias arméniens. Son impact est d'autant plus négatif qu'elle supprime la volonté innée de liberté et d'expression des journalistes. Les commentateurs de certains nouveaux médias arméniens sont payés pour donner un certain « ton » aux reportages. Certains journalistes et rédacteurs se voient offrir des avantages pour écrire des articles positifs ou pour conserver le silence sur les questions gênantes.

C.F. : Qu'en est-il de la confiance faite aux médias en Arménie ?

L.S. : Alors que le nombre de téléspectateurs ne cesse de diminuer chaque année, la crédibilité de la télévision demeure relativement élevée et celle-ci reste la principale source d'information. Selon un sondage public réalisé cette année, la télévision est considérée comme la source d'information la plus crédible (58%), suivie des voisins et des amis en deuxième place. Les sites d'information en ligne arrivent en troisième position. Selon certaines études, le marché de l'information arménien n'est pas tributaire de la demande publique, mais dépend des intérêts et des sensibilités politiques des propriétaires de médias. La position et le rôle des nouveaux formats de médias s'affirment cependant de plus en plus. Le public est essentiellement informé des derniers développements par le biais des nouveaux médias. Selon une enquête publique menée cette année, les médias en ligne et les réseaux sociaux sont considérés comme plus indépendants en Arménie. Le public de ces nouveaux formats de médias connaît un essor dynamique et la plupart des médias d'information traditionnels ont déjà fait la transition vers l'internet.

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