5 leçons essentielles apprises d’une action citoyenne en zone rurale

5 leçons essentielles apprises d’une action citoyenne en zone rurale

Dans le cadre du programme Connexions Citoyennes, 15 porteurs de projets citoyens originaires d'une dizaine de pays d'Afrique se sont rendus à Malika au Sénégal les 13 et 14 avril 2017 pour une immersion en zone rurale.

J'ai fait partie du groupe et je souhaite partager ici 5 enseignements tirés de ce passage à Malika.

1- L'idée que nous nous faisons des zones rurales n'est pas toujours la bonne

Lorsque nous avons appris que nous allions à Malika à environ 25 km de Dakar au Sénégal, nous avons presque tous pensé que nous nous rendions dans un petit village coupé du monde et surtout coupé d'internet . La porteuse de projet que je suis avait une idée très claire de ce à quoi elle s'attendait : du rustique, du "villageois". Malika est peut-être en zone rurale, mais le coin est très charmant et par certains côtés, il est mieux entretenu que la ville de Dakar.

J'ai été étonnée par la propreté des infrastructures publiques, notamment la mairie, le Cours Saint Villiers et le lieu de prière et de pélerinage Nguediaga. Malika est une commune plus connue pour la décharge de 175 hectares du nom de Mbeubeuss qu'elle abrite plutôt que pour ses plages au sable fin, et les citoyens ne supportent plus de n'être assimilés qu'à cette décharge. La propreté de leurs infrastructures témoigne certainement de cette volonté de ne plus être réduits à des déchets, des déchets venant de part et d'autre du Sénégal et mettant en danger tant l'écosystème de Malika que la santé de ses habitants.

Déchets à perte de vue à la décharge de Mbeubeuss à Malika
Déchets à perte de vue à la décharge de Mbeubeuss, à Malika

2- Les besoins des autorités, qu'elles soient administratives, traditionnelles ou religieuses ne sont pas forcément les besoins des populations.

Guidés par le photographe et citoyen engagé Mandione Laye Kebe plus connu sous le nom de MLK, notre première visite a été la mairie de Malika où nous avons rencontré le Maire Momar Gadiaga, le chef de village Mandione Sène et le représentant du Khalife Sérigne Mamour Thiaw Laye. Après nous avoir édifiés sur la création de Malika et la gestion des pouvoirs, les autorités ont émis le souhait que nous les aidions à porter leur voix au-delà de leur territoire afin que des mesures pérennes soient prises pour Mbeubeuss.

Les cerveaux se sont mis en marche, Boursier Tchibinda du Gabon a immédiatement pensé à une pétition Avaaz. Nous avions les connaissances et les compétences : le story-telling était parfait, et la cinéaste Cyrielle Raingou du Cameroun allait être en charge de la réalisation de la vidéo. Les plumes afutées telles que celles de Maurice Thantan du Bénin ou l'oeil avisé de la journalise Awanabi Idrissou elle aussi du Bénin allaient être mis au service de la cause. L'expérience de Sally Bilaly Sow de Guinée en matière de dénonciation allait également être d'un grand secours.

Nous sommes ressortis du bureau du maire avec une stratégie en tête, et la ligne à suivre durant le hackaton prévu au cours des deux jours suivants était toute tracée… jusqu'à ce que nous demandions aux jeunes de Malika supposés participer au hackaton la manière dont ils avaient besoin que nous les appuyions pour un "Malika meilleur". Leur réponse a été très claire. Tout comme leurs dirigeants, ils étaient conscients du danger que représentait Mbeubeuss. Tout comme leurs dirigeants ils souhaitaient des solutions pérennes pour cette décharge, mais leur priorité était ailleurs. Il fallait redorer l'image de Malika, et pour y arriver il fallait passer par le numérique, l'internet.

Les jeunes de Malika ne voulaient pas d'un projet chronophage qui n'aboutirait à rien (on ne déplace pas 175 hectares de déchets en un claquement de doigts, quelque soit le type de pétition lancé). Ils voulaient créer par la valorisation de leur commune et tout ce qu'elle a de beau, la nécessité pour les autorités à l'échelle nationale de "faire quelque chose pour cette décharge". Ils voulaient une présence numérique, un site internet qui valoriserait leur commune et ses habitants. Il fallait que Malika aille bien au-delà de Mbeubeuss.

Alors nous nous sommes pliés aux exigences des citoyens. Bien entendu.

Le chef du village, le représentant du Khalife et le Maire de Malika, à la mairie
Le chef du village, le représentant du Khalife et le Maire de Malika, à la mairie


3- Nul n'est à l'abri de l'approche « organisations internationales », qui est celle de croire mieux savoir que les populations ce dont elles ont besoin et de croire leur apporter (enfin) la lumière.

Dans notre équipe de 15 nous avions toutes les compétences pour créer un site internet et une solide présence numérique. Nous étions tous porteurs de projets citoyens basés sur l'utilisation d'outils numériques. Tidiani Togola du Mali, Charles Kondi et Edeh Etchri du Togo avaient toutes les connaissances requises pour la création d'un site internet à partir de zéro, et la twitteuse compulsive que je suis était prête à mettre tout son savoir à profit.

Grande a été notre surprise de constater que parmi les jeunes avec qui nous devions collaborer, il y avait un graphiste en la personne d'Ouzin Konaré qui a conçu le logo de Sunu Malika, le nom du site internet de Malika qui signifie Notre Malika en Wolof. Il a même proposé un nouveau logo pour Tuwindi, l'organisation de Tidiani. L'univers tech de Malika est plutôt intéressant, et nos jeunes collaborateurs étaient assez calés en la matière. MLK par exemple ne se contente pas de faire des photos de qualité pour les conserver dans sa carte mémoire. Il les poste sur son compte Instagram et sur ses différents comptes sur les réseaux sociaux.

Une fois les questions techniques réglées, il a fallu s'accorder sur le contenu du site. En plus de parler de l'histoire et des beautés de Malika, nous avons insisté pour un plaidoyer pour (ou contre) Mbeubeuss. Une grande partie de notre stratégie de valorisation de Malika reposait sur la sensibilisation du monde à propos de la décharge. Les jeunes ont été clairs. La décharge devait être tout, sauf un élément central de notre travail ensemble. Malika d'abord, Mbeubeuss après. Notre rôle n'était pas de prescrire, mais d'appliquer. Nous n'étions pas là pour dicter, mais pour aider au mieux selon les attentes des citoyens de Malika.

Hackaton à Malika pour la création de sunumalika.net
Hackaton à Malika pour la création de sunumalika.net


4- L'adaptation des porteurs de projet à leur environnement et l'entraide sont la clé de la réussite de de leurs initiatives

Il ne s'agissait pas pour nous de faire du tourisme, de jouer aux « étrangers ». Il s'agissait de se fondre dans le paysage afin de gagner la confiance de nos interlocuteurs et de les amener à s'ouvrir à nous. Il s'agissait également de rattraper tout manquement afin de ne pas compromettre l'initiative.

Pour illustrer cette partie, je parlerai de mes habitudes vestimentaires. Je passe ma vie en jean. C'est pratique et confortable, surtout lors de descentes sur le terrain. Je n'avais pas prévu de me retrouver à filmer sur un lieu saint pour alimenter le site internet de Malika, mais ça a été le cas Nous avons dû trouver une solution pour ne pas susciter l'animosité des personnes présentes : je me suis attaché le foulard de Cyrielle autour des reins et l'écharpe de MLK sur la tête pour pouvoir mener à bien la mission qui m'a été assignée par l'équipe.

Notre dernier arrêt à Malika a été Mbeubeuss. Mon premier réflexe a été de sortir mon appareil photo, sans poser aucune question, ce qui a irrité les habitants (oui, des gens vivent à Mbeubeuss). Ils se sont sentis agressés et pas respectés. Une fois que je me suis rendue compte de ma maladresse j'ai rangé mon appareil photo et j'ai surtout évité de me boucher les narines, même lorsque nous avancions dans la décharge. Qu'auraient pensé ceux qui n'ont pas d'autres choix que de vivre dans cet endroit ?
Qu'aurait laissé comprendre mon geste ?
Quel aurait été le message passé ?

5- La co-construction est essentielle à la réussite d'un projet citoyen

Tel est le principal enseignement que je tire de cette expérience. Seules les populations connaissent réellement leurs besoins. Les autorités peuvent avoir des idées selon leur angle de vue de dirigeants, mais au final, seule la collaboration avec les citoyens et leur inclusion dans les projets qui les ciblent eux et leur bien-être peut mener une initiative citoyenne vers la réussite.

Nous nous serions pliés aux souhaits des dirigeants que nous aurions lancé une pétition, une initiative dont les citoyens ne se seraient pas appropriés. Nous aurions suivis nos envies que nous aurions attribué à la décharge une place de choix sur le site internet, et la probabilité d'abandon de la plateforme par ces jeunes supposés assurer sa survie aurait été très grande. Rien ne peut nous garantir aujourd'hui que ce site internet vivra longtemps, mais une chose est certaine : la participation des citoyens de Malika au projet et le fait qu'ils ressentent que cette initiative est plus la leur que la nôtre multiplient ses chances de survie par cent.


Article rédigé par Anne Marie Befoune, publié sur le blog Elle citoyenne.
Anne-Marie Befoune est camerounaise et vit au Sénégal, à Dakar, depuis quatre ans. Cette traductrice indépendante est aussi une cyber-activiste, membre du réseau des Africtivistes, la Ligue des cyber-activistes pour la démocratie.
En 2015, elle a créé la plateforme Elle citoyenne pour la promotion, l'information et l'éducation en matière de droits et devoirs du citoyen.
Ce qui n'était au départ qu'un blog est devenu aujourd'hui une plateforme participative, sur laquelle des citoyens d'Afrique s'expriment sur leur pays.

Crédit photos : Mandione Laye Kebe filmé par Cyrielle Raingou

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