Tempo, entre engagement et innovation en Indonésie

Tempo, entre engagement et innovation en Indonésie

Un jour dans mon média est une série de témoignages, qui illustre chaque semaine le quotidien de personnes travaillant dans les médias de l'Afrique, du monde arabe et de l'Asie du Sud-Est, accompagnés par CFI.

Cette semaine, entretien avec Wahyu Dhyatmika, le rédacteur en chef de Tempo.co.


Wahyu Dhyatmika est le rédacteur en chef du site d'informations Tempo.co, en Indonésie. Il y travaille depuis quinze ans, d'abord au sein du bureau d'investigation et depuis septembre 2017, en tant que rédacteur en chef de la version en ligne.

Une présence historique

Tempo voit le jour en 1971 sous la forme d'un magazine d'actualités hebdomadaire. Nous étions connus pour nos chroniques et reportages en profondeur.Dès le début, le média adopte une prise de position indépendante mais en 1994, le régime de Suharto interdit le magazine pour avoir dévoilé un scandale de corruption au sein du gouvernement. Le journal continue néanmoins à exister clandestinement via le site internet tempointeraktif.com.
Après la chute de la dictature en 1998, Tempo retrouve sa légitimité puis devient peu après, en 2000, un quotidien.

En 2008, le site web est restructuré et Tempo.co est lancé.
Pour Wahyu, exister dans une version numérique était une question de survie : "Nous voulions transmettre la crédibilité de notre version papier à celle du numérique", indique-t-il. Fondé par de jeunes poètes et journalistes en herbe, le média avait une forte connotation culturelle, alliant art, poésie et reportages thématiques : "C'est d'ailleurs pour cette raison que notre devise est : une délicieuse lecture des choses nécessaires", souligne le rédacteur en chef.

Aujourd'hui la ligne éditoriale est orientée vers la politique et l'économie, avec un intérêt particulier pour l'art et la littérature. Tempo s'adresse à une cible de décideurs cultivés et relativement aisés : "Une partie importante de nos lecteurs sont influents et souhaitent être informés au moyen d'une couverture indépendante et approfondie, avant de prendre des décisions importantes. Ils recherchent un point de vue exact et crédible", explique-t-il.

Un virage numérique réussi

Le quotidien a développé ses compétences en matière de journalisme de données pour renforcer la crédibilité de ses investigations. Le média a participé au projet 4M Asie lancé par CFI en prenant part au programme de formation en data journalisme visant à soutenir la réalisation de projets médias axés sur les droits humains et le contrôle citoyen de l'action publique ; à la suite duquel Tempo a publié une enquête en data journalisme sur les abus de la police dans les prisons indonésiennes.

Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle incontournable pour Tempo : "Les médias sociaux nous servent à prendre le pouls de nos lecteurs, à connaître leurs préoccupations du moment, les sujets de discussion avec leurs amis. C'est aussi le moyen par lequel nous relayons notre contenu au plus grand nombre", précise le rédacteur en chef.

L'entreprise compte environ mille employés, avec le personnel des imprimeries. Son siège est situé à JI Palmerah Barath N°8, à Jakarta Ouest. Les équipes de Tempo ont créé une plate-forme de fuite sécurisée sur le modèle de WikiLeaks, afin de pouvoir recevoir en toute sécurité et de manière totalement anonyme les informations que des tiers voudraient leur envoyer. Cet outil représente une source intarissable de sujets pour le journal.
"Lorsque la sélection d'un sujet est faite, nous constituons des équipes de reporters et rédacteurs pour travailler sur les grandes lignes, avant d'aller sur le terrain pour vérifier et confirmer les faits. Pour la mise en ligne, nos rédacteurs collaborent avec notre concepteur web et nos programmeurs pour créer une forme de récit interactive", détaille Wahyu Dhyatmika.

Le média en ligne dépend essentiellement des revenus publicitaires de la version papier : "Ceci dit nous augmentons progressivement les revenus tirés des abonnements numériques. C'est un de nos objectifs", confie le jeune homme. Tempo fournit aussi des prestations de service en complément de son activité principale, à savoir l'organisation d'événements, la mise à disposition d'une maison de production, d'une agence de publicité, etc.

Des projets en cours

La population indonésienne attend des journalistes qu'ils soient intègres et veut être correctement informée sur des thématiques d'intérêt général. Tempo prend très au sérieux ce rôle de pilier de la démocratie :
"Notre défi le plus ardu est de faire en sorte que certains sujets soient récurrents dans le débat public afin qu'ils ne tombent pas dans l'oubli. En tant que journalistes, nous avons la responsabilité de ne pas nous laisser distraire par des questions triviales et de rester focalisés sur les enjeux de notre profession."
Ces dix dernières années, huit journalistes ont été assassinés sans que justice ne soit rendue. Ceci génère une culture d'impunité qui peut mettre en danger la liberté de la presse. Wahyu décrit une presse indonésienne "solide, robuste et libre" qui s'efforce de demeurer indépendante vis-à-vis du pouvoir politique : "Les journalistes travaillent librement en général. Ils rencontrent des problèmes surtout dans les régions isolées et lorsqu'ils dérangent l'élite locale avec leurs sujets", détaille-t-il.

En Indonésie, les médias appartiennent souvent à des entreprises qui suivent leur propre agenda, une situation qui entacherait leur crédibilité auprès des Indonésiens. Tempo a plusieurs projets sur le long terme : un nouveau site web comprenant un paywall a été lancé, et une application pour mobiles reprenant le contenu du magazine papier avec un système de paiement en ligne est en cours de finalisation.

Tempo est l'un des plus importants conglomérats du paysage médiatique indonésien : "Nous sommes le seul média indonésien à avoir participé à l'enquête sur lesPanamaetParadise Papers, menée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ). Tempo est le porte-drapeau des médias indépendants et d'investigation en Indonésie. Notre interdiction par le régime dictatorial en 1994 a mis à l'épreuve notre courage et notre obstination à continuer de rapporter la vérité. Nous perpétuons et défendons ces valeurs en cette ère du numérique", conclut le rédacteur en chef.

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