Histoire d'une coexistance entre une musulmane et une chrétienne

Histoire d'une coexistance entre une musulmane et une chrétienne

Découvrez une sélection des meilleurs articles traitant de la diversité culturelle et religieuse au Proche-Orient, reçus dans le cadre du concours Naseej lancé par CFI et SKeyes en octobre 2017.

Cette semaine, le journaliste irakien Salih Elias raconte la belle amitié entre deux femmes de Mossoul, l'une musulmane et l'autre chrétienne.

Paru dans Niqash le 13 juillet 2017


Les histoires les plus remarquables de Mossoul sont celles qui racontent les belles relations qui se créent entre les habitants de la ville, malgré la gouvernance des extrémistes. L'une d'elle s'est nouée entre deux voisines, une musulmane et l'autre chrétienne.
L'histoire d'Oum Saleh et de Rafdine mérite le détour de Bagdad à Mossoul, une région tombant parfois sous le feu des missiles de Daech. J'ai contacté la famille de Oum Saleh et nous nous sommes donné rendez-vous dans le camp 500 dans la région de Hamam al-Alil, au sud de Mossoul.
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Rafdine a 43 ans. Son histoire commence le 19 juillet 2014. Elle se réveille chez elle, dans les quartiers ouest de Mossoul, pour se retrouver face à un dilemme : soit elle abandonne sa religion pour se convertir à l'islam, soit elle meurt. Elle avait déjà dépassé le délai imparti par Daech à l'époque, un délai de 72 heures.

Avant cette date butoir, des milliers de chrétiens ont quitté la ville en direction de la plaine de Ninive et du Kurdistan irakien. Seuls des dizaines de personnes sont restées à Mossoul, et chacune de ces personnes avait ses raisons. En ce qui concerne Rafdine, elle n'avait pas pris connaissance des décisions de Daech à l'égard des chrétiens parce qu'elle vivait seule et que son portable était éteint. Rafdine était confrontée au harcèlement de l'EI et à la solitude, jusqu'à ce qu'elle fasse la connaissance de Oum Saleh. Cet événement changea le cours de sa vie.

Oum Saleh, 45 ans, est une femme musulmane qui a également vécu sa part de tragédies après avoir été chassée de sa maison par l'EI. Une maison dans laquelle elle avait vécu avec sa famille durant plus de treize ans. Une maison que Daech a transformée en dépôt de mines et d'armes. Elle rejoint donc le quartier d'Al Mansour, au sud de la ville, dans une maison mitoyenne à celle de Rafdine.

Des yeux pour épier et une main pour aider

Rafdine me raconte son histoire dans la petite maison où elle vit actuellement avec Oum Saleh et sa famille, dans la région du nouveau Mossoul, après son retour des camps de déplacés au sud de la ville : "J'ai appris l'arrivée de nouveaux voisins. Je me suis méfiée d'eux tout d'abord parce que je craignais que leurs fils ne soient affiliés à Daech, tout simplement parce qu'ils ressemblaient aux membres de l'organisation. J'ai voulu en avoir le cœur net, je leur ai donc rendu visite plusieurs fois pour découvrir en fin de compte qu'ils sont pacifiques et très sympathiques."

Il me semble que Rafdine n'est pas prête d'oublier les jours difficiles qu'elle a vécus sous la domination de Daech. Elle a dû rester seule, ne pouvant que ruser pour garder la vie. C'est pour cela qu'elle a encouragé une famille chrétienne restée à Mossoul à la suivre à un des tribunaux de l'organisation pour qu'ils soient épargnés, quand leur fuite de la ville leur a semblé impossible.
"C'est là que nous avons déclaré notre conversion à l'islam, de façon uniquement formelle, pour nous débarrasser des extrémistes", dit-elle en réajustant son voile. "Je n'avais pas peur, mais mes amis tremblaient face au juge barbu et grossier. Nous jouions en fait avec le feu, toute erreur de notre part nous aurait menés à la guillotine."

Elle a longtemps parlé du harcèlement de l'organisation dont elle avait été victime, comment la hisbah1 l'a arrêtée parce qu'elle n'avait pas porté le niqab une fois. Elle se rappelle des accusations qui lui ont été portées quand elle a refusé d'épouser un des émirs de Daech, en disant : "Il m'a demandé en mariage mais j'ai refusé. Je ne veux ni émir ni Samir."
Tout le monde rit en entendant son commentaire, même Abou Saleh, un homme calme et discret.

Il semble que la famille soit habituée à son cynisme. Oum Saleh poursuit l'histoire : "Je me rappelle ma première rencontre avec Rafdine, maigre et pâle à cause de son état psychologique déplorable. Elle était terrorisée, un rien la faisait tressaillir. J'avais pitié d'elle, non seulement elle était chrétienne, mais elle était également seule. Je lui ai donc dit qu'elle pouvait venir quand elle le désirait et qu'elle faisait partie de la famille. Considère que je suis ta mère malgré le fait que nous ayons presque le même âge, lui ai-je dit. Et c'est exactement ce que je suis devenue pour elle."

À cette époque, l'attention des extrémistes se portait sur les chrétiens restés à Mossoul, après leur conversion à l'islam, alors que cette femme passait la plus grande partie de son temps chez ses voisins à partager leurs repas et ne revenait chez elle que pour dormir.
Et Oum Saleh, dont le visage est sillonné de rides malgré sa jeunesse, d'ajouter : "Elle se sentait en sécurité chez nous parce que ses proches l'avaient rejetée en l'accusant de se convertir à l'islam pour épouser un musulman. Mais nous, on connaissait la vérité. Elle n'avait pas abandonné sa religion, elle avait déclaré sa conversion à l'islam pour rester en vie. Si Daech l'avait su, ils nous auraient tous tués."
Quand la vie à Mossoul est devenue insupportable, les deux femmes se sont encore plus rapprochées. En février dernier, les opérations de libération des quartiers Ouest de Mossoul avaient commencé et la famine était à son apogée dans la ville. Rafdine s'est donc vue forcée de quitter sa maison et de s'installer chez ses voisins.
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La famille s'est divisée. Le père et deux des fils ne supportaient plus cette situation, ils se sont donc déplacés vers une région loin des combats. Le reste de la famille a décidé de rester, dans l'espoir d'une libération.
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Ils sont sortis à pieds, têtes baissées, craignant les snipers de Daech. Rafdine s'est accrochée à la main de Oum Saleh, elle la serrait très fort alors que la peur les faisait trembler toutes les deux.

Rendre la pareille

Après un dur et dangereux voyage, le groupe est arrivé au camp 500 dans la région de Hamam al-Alil, au sud de Mossoul. Chaque femme a reçu une tente mais elles ont décidé de continuer à vivre ensemble. Elles ont partagé la même tente et ont laissé la deuxième à Abou Saleh et ses fils.
Peu de temps s'est écoulé avant que la nouvelle d'une femme chrétienne vivant avec cette famille ne se répande. Les visites s'enchaînèrent dans leur tente, qui devint le repère de personnes en quête d'histoires excitantes et même de politique.
Rafdine reçut beaucoup de coups de fil de ses proches vivant en Irak et à l'étranger, lui demandant comment elle a vécu avec une famille musulmane qu'elle ne connaissait pas. Elle répondait dans sa langue chaldéenne : "Ces gens ne sont pas des inconnus, ils sont ma famille." Elle ne traduisait pas ces conversations à Oum Saleh.

Quand l'Église apprit l'existence de cette femme assyro-chaldéenne, venue à Mossoul avec ses parents trente ans auparavant pour fuir la guerre Iran-Irak, elle l'invita à se rendre à Erbil où vivent beaucoup de chrétiens déplacés de Mossoul. Cependant, Rafdine répondit à leur invitation de la façon suivante : "Je ne bougerai pas d'ici sans emmener Oum Saleh et sa famille avec moi.
L'Église refusa sa condition peut-être à cause des procédures compliquées imposées par les autorités de la région du Kurdistan en ce qui concerne les déplacés de Mossoul. Elle resta donc dans le camp pendant environ trois mois, puis se rendit à la ville avec sa nouvelle famille.
Quand je lui ai demandé pourquoi elle ne s'était pas rendue à Erbil ou Dohuk, où elle aurait pu avoir une vie décente, elle m'a montré Oum Saleh et sa famille en répondant : "Mes proches m'ont planté un couteau dans le dos, je ne pourrai jamais oublier ce que cette famille a fait pour moi."

Rafdine est retournée dans sa maison dans le quartier d'Al Mansour et Oum Saleh a vécu temporairement dans un petit appartement de la région du nouveau Mossoul, le temps de trouver un nouveau logement proche de l'endroit où travaillent ses fils, parce que son ancienne maison a été complètement détruite par les bombardements. Mais la relation qui unit ces deux femmes n'est pas terminée et elles planifient toujours l'acquisition de logements proches l'un de l'autre. Je les ai entendues y réfléchir à voix haute.
J'ai appris durant ma dernière conversation téléphonique avec la famille d'Oum Saleh qu'elle a quitté sa maison pour fuir les obus de mortiers et qu'elle a dû retourner au quartier d'Al Mansour, près de Rafdine. C'est ainsi que la guerre a finalement réalisé le désir des deux femmes.

Retrouvez tous les articles du concours Naseej dans le livret Quels destins pour les minorités au Proche-Orient ?

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